Quels sont les objets impliqués dans le processus d'innovation ?
Les différents acteurs du réseau sociotechnique ont des avis divergents concernant l'innovation que représente la RPLB[1]. Ces divergences peuvent être analysées au travers d'un petit nombre d'objets clefs étroitement liés à la RPLB[1]. Ces objets sont des clefs de lecture importantes de la dynamique d'innovation. Comment le discours des acteurs s'articule-t-il autour de ces objets ?
Les Cultures céréalières
Pour de nombreux agriculteurs les cultures céréalières sont au centre de leur stratégie de sécurité alimentaire et revêtent une dimension identitaire. : « Quel type d'agriculteur suis-je si je ne produis pas de grains ?!! »
. Les notions de modernité et de progrès semblent très importantes pour ces agriculteurs qui souhaitent rénover leur identité professionnelle. L'utilisation d'intrants, par exemple, leur donne la sensation de passer du statut d'agriculteur « archaïque »
à celui de producteur moderne.
Mais pour l'EMATER[2], les cultures de céréales restent une activité à la périphérie de ses préoccupations plutôt centrées sur le cacao et l'élevage. Il n'existe donc pas d'accompagnement technique pour ces cultures jugées secondaires.
De même, la culture de céréales n'est pas une priorité pour les banques. Les investissements pour cette activité sont jugés trop risqués en l'absence d'assistance technique. L'engagement de la banque dépend au final de celui de l'EMATER[2].
Le désintérêt de l'EMATER et des Banques pour les cultures céréalières, est à l'origine de leur refus implicite de soutenir la « Roça Floagri ».
Le Tracteur
La RPLB[1] entre en compétition directe avec le modèle dominant du labour mécanisé mis en place par les grands propriétaires. L'objet « tracteur » est associé à des enjeux techniques, identitaires, économiques et politiques puissants. D'abord il apparaît comme un outil facilitant et accélérant le travail tout en réduisant l'emploi d'herbicides. Face à la présence d'un grand nombre de racine dans le sol, le labour à l'aide du tracteur est l'unique option technique fonctionnelle vérifiée localement.
![]() | Pour l'EMATER[2], le labour demande moins de maîtrise que le semis-direct et donc, offre plus de sécurité que la RPLB. D'autre part, le tracteur se veut le symbole de la modernité agricole, une aspiration forte des acteurs locaux. Or la RPLB propose l'utilisation de la traction animale. Les banques, quant à elles, ont intérêt à favoriser l'achat de ce matériel coûteux et ainsi accroître leurs bénéfices sur les crédits souscrits. Enfin, d'un point de vue politique, la stratégie gouvernementale, avec son Programme de Croissance Accélérée (PAC), consiste à renforcer la croissance par la stimulation des achats de biens d'équipement comme le tracteur. |
Les herbicides
Les herbicides, dont l'utilisation fait partie de l'itinéraire technique de la RPLB[1], semblent être un objet de blocage pour de nombreux acteurs. Les agriculteurs reconnaissent l'utilité des herbicides, pour diminuer leur temps de travail, mais ils les craignent en raison des risques d'intoxication.
La maire, de son côté, questionne le recours à une technologie potentiellement polluante et soutient que « utiliser le tracteur pour préparer (le sol) afin d'utiliser moins d'herbicides est meilleur... »
. Mais il semblerait que ces arguments ne soient qu'un prétexte pour contester l'innovation : l'emploi de produits phytosanitaires ne pose pas de problème dans d'autres situations.
Enfin, le recours aux herbicides compterait parmi les raisons du désintéressement de la majorité des techniciens de l'EMATER[2]. En effet, ceux-ci ne souhaiteraient pas assumer la responsabilité de la prescription d'herbicides dans un système encore mal connu, car s'il y avait des intoxications, ils seraient tenus pour responsable et leur image, déjà fragile, serait pénalisée.
Les Plantes de couverture
La principale source de blocage concernant les plantes de couverture, réside dans la prise de position du porteur de l'innovation lui-même. En effet, le technicien de l'EMBRAPA[4], Darcisio, « ne croit pas »
aux plantes de couverture. Pour lui, elles représentent un investissement en temps de travail et en intrants trop important. Les plantes de couverture sont aujourd'hui totalement absentes des présentations et autres ateliers de formation. Dans la perspective de la sociologie de la traduction, le porteur local de l'innovation, trahit les concepteurs du modèle RPLB.
Remarque :
Auteur : Gouthier Axelle
Source : Processus et réseaux d'innovation autour du semis direct dans l'agriculture familiale. Le cas de la « Roça Floagri » à Uruará sur la route Transamazonienne (Pará, Brésil). Villemaine Robin
Superviseurs :Brives Hélène, De Tourdonnet Stéphane, Clerquin Sarah