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Processus et réseaux d'innovation autour du semis direct

Les étapes de l'innovation

Rappel

Pour mener à bien son analyse du processus d'innovation, cette étude de cas s'inspire de la théorie de l'acteur réseau et de la sociologie de la traduction.

La sociologie de la traduction divise le processus d'innovation en quatre grandes étapes : la problématisation, l'intéressement, l'enrôlement et la mobilisation. Comment ces quatre étapes rendent-elles compte du processus d'innovation de la RPLB ?

1. « La problématisation ou comment se rendre indispensable ? »

Dans cette première étape, il s'agit de poser un problème et de faire prendre conscience à divers acteurs qu'ils sont concernés. L'innovation, c'est la solution proposée par les traducteurs à ce problème.

Dans le cas d'Uruará, la question qui a été posée comme centrale pour pratiquer une agriculture durable est celle de la gestion de la fertilité des sols au sein de cultures céréalières et en l'absence des pratiques d'abattis-brûlis[1]. Le semis-direct avec couverture végétale, développé par les chercheurs au Sud du Brésil, a été 6transposé comme la solution à ce problème.

Par cette problématisation,encore la recherche convoque et donne un rôle aux agriculteurs, aux banques, aux organismes d'Assistance Technique et d'Extension Rurale (EMATER principalement) et à la mairie. Elle crée un réseau sociotechnique. Or seuls les agriculteurs ont besoin de cette alternative pour continuer à produire. Elle ne répond pas aux problématiques des autres acteurs. La problématisation est donc incomplète.

« Pour la RPLB, il y a une sorte de vide, comme si les acteurs devraient s'enrôler naturellement, par charité envers la grande cause du développement. »

2. « Les dispositifs d'intéressement ou comment sceller les alliances ? »

Dans cette étape, les traducteurs vont s'efforcer de stabiliser l'identité des acteurs qu'ils ont convoqués dans l'étape précédente. Il s'agit de consolider le réseau sociotechnique construit précédemment.

Les dispositifs d'expérimentation et de démonstration du projet Floagri peuvent être interprétés comme des dispositifs d'intéressement. Le dispositif d'expérimentation au sein des UD[2] vise à intéresser à la fois les agriculteurs réalisant les opérations culturales mais aussi les éléments biotechniques du modèle RPLB (sol, herbicide, plantes de couverture, équipements). (Dans la sociologie de la traduction, les entités non-humaines sont aussi importantes que les acteurs).

Le dispositif de démonstration, quant à lui, ne devient légitime que quand le modèle a fait ses preuves au travers de l'expérimentation. Il se traduit par la réalisation de visites et de journées de démonstration au sein même des UD[2] ou bien par des mini-conférences et des ateliers de formation se référant à l'expérience des UD[2]. Enfin le projet veille à employer un registre moderniste qui fait échos aux aspirations de chacun et à associer les acteurs locaux à la mise en place des activités du projet pour faciliter leur appropriation. La photo suivante montre comment, dès le début du projet le STTR[3], la SEMAGRI[4] (la mairie), l'EMATER[5] et les banques sont associés au développement de la RPLB.

3. « Comment définir et coordonner les rôles : l'enrôlement »

L'enrôlement constitue l'aboutissement de l'intéressement. C'est une étape cruciale dans la mesure où c'est avec lui que le réseau sociotechnique prend forme dans la réalité. Autrement dit : que les acteurs jouent le rôle qui leur a été attribué.

L'analyse du processus d'innovation de la RPLB montre que cette étape a été la plus problématique. En effet, ni l'EMATER[5] avec son rôle d'assistance technique, ni les banques apportant le soutien financier, ni la mairie et son rôle de soutien politique, n'ont vraiment été enrôlées. Le réseau sociotechnique demeure incomplet. C'est l'identité même de ces acteurs qui pose problème : les cultures céréalières ne les intéressent pas et ils préfèrent l'option technique liée au tracteur plus proche de leurs intérêts.

En considérant aussi les entités non-humaines, on peut aussi remarquer que les plantes de couverture n'ont pas été enrôlées non plus. Leurs identités, soit leurs aptitudes agronomiques, sont testées et s'avèrent inadaptées.

En revanche, le CFR qui n'était pas prévu dans le dispositif initial est enrôlé, ce qui se concrétise, entre autres, par la mise en place d'une parcelle expérimentale.

4. « La mobilisation des alliés : les porte-parole sont-ils représentatifs ? »

Parmi les acteurs enrôlés, certains vont prendre la position de porte-parole et représenter l'ensemble des autres. Ils vont devenir les alliés de l'innovation et mobiliser d'autres acteurs. Toutefois, la question de leur représentativité et de leur capacité d'induction peut être soulevée.

A Uruará, les alliés du processus d'innovation de la RPLB[6] sont les UD[2], le STTR[3], la CFR[7] (le président, quelques élèves et techniciens), un technicien de l'EMATER[5], et les éléments les plus robustes du modèle technique.

Les UD[2] sont sensées être représentatives de la masse des agriculteurs. Elles ont été sélectionnées afin de représenter une diversité de situation socio-économique de la région mais aussi en fonction de leur capacité d'induction au travers d'une diffusion d'agriculteurs à agriculteurs. Mais certaines ont abandonné et d'autres ont évolué vers un modèle mécanisé. De quoi sont-elles alors représentatives ?

La représentativité du technicien de l'EMATER[5] est très faible. Il est le seul à s'intéresser à la « Roça Floagri » en raison de son intérêt pour les petits agriculteurs. Cela laisse présager que l'EMATER sera très peu influencée par les différents mouvements d'agriculteurs.

Canne planteuse ©Villemaine R[8]

La représentativité des éléments biotechniques se pose également. Est-ce que les semences, les engrais ou encore les herbicides sont vraiment représentatifs de ce que l'on peut trouver à Uruará ? Cela rejoint la question de la représentativité des UD. Une des UD présentant de bons rendements bénéficierait d'une canne planteuse de meilleure qualité et d'engrais 10-28-20 alors que d'autres n'ont pu avoir que du 10-10-10 en raison des déficiences d'approvisionnement du marché local.

Auteur : Gouthier Axelle

Source : Processus et réseaux d'innovation autour du semis direct dans l'agriculture familiale. Le cas de la « Roça Floagri » à Uruará sur la route Transamazonienne (Pará, Brésil). Villemaine Robin

Superviseurs :Brives Hélène, De Tourdonnet Stéphane, Clerquin Sarah

  1. Abattis-brûlis

    Système agraire reposant sur le défrichement des champs par le feu opérant ainsi à un transfert de fertilité. Ces champs sont ensuite cultivés pendant une courte période avant d'être mis en jachère forestière sur une période plus longue que la durée de mise en culture.

  2. UD : Unité de Démonstration de modèle RPLB

  3. STTR : Syndicat des Travailleurs et Travailleuses Ruraux

  4. SEMAGRI : Secretaria Municipal de Agricultura (Secrétariat Municipal à l'Agriculture)

  5. EMATER : Empresa Nacional de Assistênça Técnica e Extensão Rural (Entreprise d'Assistance Technique et d'Extension Rurale)

  6. RPLB : Roça Permanente de Lavoura Branca, (Cultures annuelles permanentes)

  7. CFR : Centre de Formation Rural

  8. Villemaine Robin Paternité

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